12 janvier 2006
4
12
/01
/janvier
/2006
12:56
En parfumerie, on appelle "un nez" le créateur de parfum. Quel beau métier, vivre en s’enivrant. Ma plus belle expérience littéraire se résume dans le titre d’un roman : le parfum.
Moi qui ai grandi dans une parfumerie au milieu des essences, mes pires cauchemars étaient les boules puantes et le rhume. Sans ma faculté olfactive, j’étais un handicapé. Un poisson hors de l’eau.
Pas plus tard que la semaine dernière, ma femme m’a proposé de faire les courses du côté du marché central de Tunis. Je me suis réjoui à l’idée que j’allais m’offrir une orgie de senteurs de légumes et fruits fraîchement cueillis, je m’imaginais déjà humectant l’acidité d’un citron vert, l’odeur sucrée d’un melon bien mûr, la suave senteur des oignions, des tomates et des mottes de persil.
Pauvre que moi, après une heure de galère pour trouver une place de parking, et cherchant à me frayer un chemin dans la foule compacte des âmes errantes un dimanche de ramadan, et en mettant mon pied sur un pavé fuyant ses semblables à la verticale, je me suis pris un jet d’eau grise et puante, je n’arrivait plus à relever la tête de peur de revivre la malheureuse expérience. Ma femme commence à râler à cause des marchands qui lui gâchent son plaisir de choisir elle-même ses denrées. On décide de finir nos courses, les bras chargés, du coté des poissonniers.
Etant "fils de mer" moi-même comme on dit chez nous, j’avais hâte de retrouver un souvenir du grand bleu via l’organe saillant de mon visage.
Quelle mauvaise idée. L’âcreté des sueurs et la puanteur des pauvres bêtes étalées comme des cadavres après une rude bataille, m’a donné la nausée. Je me suis senti agressé.
Je n’en pouvais plus, j’avais un haut le cœur qui m’a fait fuir comme une adolescente devant des violeurs. En rejoignant la voiture, le pas pressé, la vue d’un bébé dans sa poussette à hauteur d’échappement d’un 404 baché m’a achevé.
En quittant le dernier feu rouge de l’entrée de l’autoroute qui devait me ramener chez moi, je n’ai pas pu m’empêcher de prendre une bouffée d’air qui me fit émerger à la surface de la vie. Vivement mon jardin. Mes roses et mon tilleul. Mon jasmin et mes hortensias. La vue de mes hibiscus et mes géraniums, bien qu’ils ne soient pas odorants, ralentit les battements de mon cœur. Ma main a effleuré les feuilles du thym comme une caresse sur les cheveux d’un bambin, et sa senteur finit de ramener un sourire sur mes lèvres et une sérénité dans mes pensées.